LE JARDIN OU DIEU NOUS ATTEND



le jardin de Gethsémani, à Jérusalem, sur les pentes du Mont des Oliviers, face au Temple.

La Fraternité fonde sa spiritualité sur la Croix et sur le Coeur Sacré de Jésus. Mais aussi, une image très importante est en toile de fond de ce mystère de l'Amour de Dieu pour les hommes. Il s'agit du Jardin. Dans la Bible on parle plusieurs fois de ce Jardin de Dieu, planté à l'Orient, appelé aussi "Eden" ou Paradis terrestre. Ce Jardin là est cité dans le livre de la Genèse. Un autre Jardin attire notre attention, c'est au coeur de l'Evangile, lorsque Jésus se rend avec ses disciples sur le Mont des Oliviers, dans le "jardin" de Gethsémani. Enfin, il y a le jardin tout proche de là où on a crucifié Jésus et où son corps sera mis dans un tombeau tout neuf. Dans ce même jardin, trois jours après, Marie de Magdala voit Jésus qu'elle prend pour le jardinier : Il est ressuscité !
Comme une grande flèche qui traverserait la Bible de part en part, d'un trait, foudroyant le temps et l'espace, ce Jardin devient mystique dans le dernier livre de la Bible, l'Apocalypse de St Jean, c'est la Jérusalem Céleste qui renferme l'Arbre de la Vie, c'est le nouvel Eden dans lequel Jésus nous permet de revenir par sa Grâce et son Salut.
Entre ce premier jardin de la Genèse et celui du Royaume, que de déserts, de souffrances et de combats ! Il en aura fallut de la patience à ce Dieu pour maintenir son projet de vie sur l'homme. Et l'homme, lui, avait oublié ce jardin, il pensait en avoir été chassé à jamais, il pensait que Dieu n'en voulait plus chez lui. Que l'homme peut être fermé et tourné vers son seul orgueil ! Si nous relisons attentivement le récit de la Genèse, Dieu met l'homme et la femme dehors pour les protéger d'un plus grand péché, celui de voler de l'Arbre de Vie, et ils auraient la vie éternelle, disons plutôt la mort éternelle puisqu'ils auraient volé le fruit à son tour. Il les chasse non par colère, mais par "paternité", par amour pour eux. Fuyez d'ici pour ne pas vous condamner à jamais. Entrez dans le temps pour vous purifier, pour vous convertir et revenir ici.
D'ailleurs Adam et Eve vont rester à proximité du Jardin d'Eden, alors que Caïn va au contraire fuir loin, loin de Dieu. Revenons à ce passage du départ du Jardin. Adam et Eve se sont confectionnés des pagnes de fortune avec des feuilles de figuier. La figue, un des délices du paradis, ils avaient tout ici, mais il a fallut qu'ils veuillent davantage ! Lorsque Dieu les renvoie, ils les habillent de vêtements de peau de bêtes. Ils ne les laissent pas nus ou à se débrouiller tous seuls. Dieu les habillent, il a pitié d'eux, il a de la compassion et de l'amour pour ses créatures. Mais l'homme va vite oublier cette tendresse de Dieu, son désir de les ramener en ce Jardin. Abel était la promesse du retour, Caïn celle de l'engrenage du péché. Caïn ne voulait pas revenir au paradis, il préférait son égoïsme et son orgueil à l'amour qui l'aurait gardé en présence du Seigneur.

Entre ces deux jardins du commencement et de la fin, se trouvent deux autres jardins bien réels et terrestres, bien situés puisqu'ils existent toujours. A Jérusalem, sur les pentes du Mont des Oliviers, et au St Sépulcre où il n'y a plus de jardin mais une basilique, centre du monde et sanctuaire de l'évènement du Salut.
Au bas du Mont des Oliviers, face au Temple de Jérusalem, les oliviers millénaires, marquant les différentes périodes de conquêtes, sont au même endroit où Jésus aimait aller se reposer et parler avec ses disciples. Quelle vue merveilleuse sur l'enceinte du Temple, sur la Porte Dorée où le Messie doit entrer. Le ruisseau presque asséché du Cédron coule au fond du ravin. Tout près de là, Jésus amène les douze sous les oliviers. Ils sont troublés par le long discours que leur a fait Jésus dans le Cénacle. Il doit partir auprès de son Père, l'un d'eux doit le trahir. La Pâque est commencée, le repas de la Cène est terminé. Jésus a lavé les pieds de ses disciples à leur consternation la plus complète. "Faites de même entre vous !" Si le Maître s'abaisse autant, combien les disciples doivent faire davantage.
Il a rompue le pain, bénis la coupe et il a dit : "Ceci est mon corps, ceci est mon sang ..." Le discours sur le pain de Vie proclamé dans la synagogue de Capernaüm résonne à leur esprit. Ceci est vraiment mon corps, ceci est vraiment mon sang, ma chair est une vraie nourriture et mon sang une vraie boisson. Celui qui mange mon corps et boit mon sang aura la vie éternelle !
C'est l'enseignement sur l'Arbre de Vie. Nous connaissions l'arbre de la connaissance du bien et du mal dans le jardin d'Eden : son fruit donne la connaissance, mais Dieu seul sait ce qui est bon ou mal, le pouvoir de la connaissance engendre le pouvoir de décider seul, la tentation de faire sans Dieu. Pourtant il y a un autre arbre au centre du jardin, celui de la Vie. Et Dieu chasse l'homme vite pour qu'il ne soit pas tenté de voler de ce fruit là. Est-ce donc un fruit interdit ? Alors que fait-il là, à la tentation de l'homme ? Peut-être parce qu'il lui est destiné, mais pas pour le moment. Il est déjà là, mais comme pour être désiré, dans le sens du but à atteindre, un désir non pas d'envie mais d'amour. Tout comme Dieu ne se dévoile pas totalement pour se laisser désirer davantage. Et là, dans ce Cénacle de Jérusalem, le fruit est présenté par les mains mêmes de Dieu. "Voici mon corps livré pour vous !" Jésus leur montre le fruit bénit qui va leur être donné. Donné, non pas à voler ! C'est Dieu qui donne dans le don le plus parfait et le plus total. Dieu se donne lui-même, c'est cela le fruit de l'arbre de Vie. Mais où est donc cet arbre ? Nous voyons le fruit, mais nous ne le comprenons pas encore. Les apôtres y communient, mais sans trop savoir tout ce que cela représente. Mais l'acte du don de la Vie ne se fait pas en un geste. Ce sont une multitudes d'évènements qui vont tout révéler. C'est l'Histoire du monde qui vient se résumer en ces quelques heures de la Passion du Christ. L'Histoire du Salut s'accomplit au milieu de l'Histoire de genre humain. Et tout commence dans ce repas. Un peu comme si on racontait l'histoire à l'envers, on commence par la fin. On mange le repas avant de récolter le fruit. Et la Passion de Jésus va être l'histoire d'Adam (donc de tout homme) reprise en remontant le récit jusqu'à la création de l'homme. Jésus ne cherche pas à effacer ce qui est arrivé, mais il vient calquer sa propre image, sa propre humanité parfaite, sur l'humanité tout entière. L'Homme Nouveau vient comme un voile sur la nudité honteuse de l'homme pour le rétablir dans ce Jardin qu'il n'aurait jamais du quitter.

le sol où Jésus entra en agonie à Géthsémani.

les oliviers du jardin de Gethsémani
Certains disent que l'homme, aujourd'hui, n'a plus besoin de revenir dans ce Jardin d'Eden puisque le Christ est avec nous. Il ne s'agit plus du même Jardin, situé en Orient entre le Tigre et l'Euphrate, mais c'est toujours le même Jardin, celui où "Dieu aime à se promener à la brise du soir", où "aux premières lueurs du matin" Il vient appeler Marie par son nom et se révéler comme le Vivant, le Ressuscité.
Revenons à Gethsémani. Jésus laisse les disciples dans le jardin et prend avec lui Pierre, Jacques et Jean. Il veut qu'ils soient témoins de sa Passion, du début à la fin. Il leur a déjà montré sur le Thabor sa Gloire, il veut qu'ils voient aussi la ténèbre qui va fondre sur lui, la douloureuse passion qui doit se passer pour que "le grain meure et porte beaucoup de fruits". Je ne reprendrai pas le récit de Gethsémani, mais je m'attarderai sur cette notion de "jardin".
La nuit est tombée et les ténèbres couvrent le monde, au sens de la nuit mais aussi du déchaînement du Mal contre Dieu. Jésus entre en agonie ! L'épreuve du sacrifice est terrible, et bien qu'il soit Dieu, son humanité crie de peur et d'angoisse devant tant de douleur à vivre. Combien il serait dur de souffrir pour quelqu'un de bien, combien plus pour ses propres bourreaux.
Quel est le rapport entre l'agonie de Jésus et le Jardin ?
Ce soir, en regardant le reposoir du jeudi saint, tout décoré de plantes et de fleurs, je me souvenais du jardin. Bien sur, c'est évident, Gethsémani est l'image du Jardin d'Eden où Dieu vient se reposer, vient pleurer, vient offrir sa Vie. Tous ces jardins ne sont finalement qu'un seul, et cela nous montre qu'il n'est pas à situer quelque part mais uniquement dans ce qu'il signifie. Alors que la Croix et le Sépulcre sont un endroit très précis, mais qui aujourd'hui ne sont plus que des "espaces vides" où Dieu est passé mais n'est pas resté. "Il vous précède en Galilée" disent les anges. Et en Galilée, Jésus les enverra au bout du monde baptiser au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et proclamer la Bonne Nouvelle. "Je serai avec vous jusqu'à la fin du monde."
Ce Jardin de Dieu est donc partout où le Christ est annoncé, partout où se trouve l'Eglise, partout où il y a quelqu'un qui prie. Etre en Dieu c'est être dans son Jardin, là où Dieu demeure, là où Dieu aime à se promener à la brise du soir, là où il cherche l'homme : "Où es-tu ?". A Gethsémani, Jésus vient pleurer les larmes de Dieu, il vient offrir l'angoisse et le crie passionné du Père qui a perdu son enfant. "Où es-tu ?" crie le Père. L'homme n'a pas entendu cet appel de Dieu lorsqu'il a péché dans le Jardin d'Eden, l'homme était trop occupé à son affaire, puis à gérer sa honte, son remords, il s'était coupé de l'intimité d'avec Dieu, il ne pouvait plus l'entendre. A l'appel de Dieu "où es-tu ?", Adam ne réponds pas de là où il est mais du pourquoi il se cache. Non, vraiment l'homme ne sait plus écouter. Dieu ne veut pas savoir pourquoi ou comment, il veut simplement savoir où il est, que l'homme puisse poser un nom, un mot sur sa situation : "je suis là, derrière le buisson." A Gethsémani, Dieu renouvelle son appel : "où es-tu ?" Et Jésus répond pour tous les hommes. Il s'offre lui-même en réponse : "me voici, fais de moi ce qu'il te plaira." "Me voici", c'est comme dire : "je suis là !" Non pas ma volonté mais la tienne. L'humilité en opposition à l'orgueil d'Adam et d'Eve, l'obéissance en opposition à l'égoïsme, pleurs et sueurs de sang en opposition à la honte, besoin de soutient et de prière de ses apôtres en opposition à l'individualisme. Dans ce Jardin de Gethsémani, Jésus plante le nouveau jardin. "Veillez et priez pour ne pas entrez en tentation" dit Jésus aux apôtres qui ont du mal à se tenir éveillé. Ce n'est pas de leur faute, ils sont épuisés. Leur désir est fort mais leur chair est faible. Jésus constate que l'homme est toujours aux prises avec son corps. Dieu veut que nous soyons des veilleurs, que nous nous entraînions à veiller auprès de lui. Pourquoi ? Parce que le Coeur de Dieu n'est pas aimé et qu'il a besoin de nous. "Demeurez avec moi", Jésus veut être entouré de ses amis. Et aucun ne répond, ou si mal. Dieu se promène en son jardin, il pourrait le faire seul. Mais non, il veut le faire avec son ami, avec l'homme. Adam, "où es-tu ?".

messe dans le jardin de Gethsémani, face à la Porte Dorée de l'esplanade du Temple.
"Vous n'avez pas su rester éveiller une heure avec moi", reproche Jésus aux apôtres. Une heure. Demeurer une heure par jour auprès de Dieu est-ce si difficile ? A croire que oui, puisqu'il nous faut réciter des prières, lire, nous occuper pour tenir tout ce temps là éveillé (c'est à dire en éveil de la Présence de Dieu, pas forcément sans s'endormir de sommeil). Une heure pour Dieu, lui seul, face à face. Et Dieu nous dit plus, il ne nous demande pas de rester sans rien dire devant lui, il veut juste que nous restions à ses côtés comme les trois disciples à Gethsémani. "Veillez et priez". Voilà la vocation du disciple de Jésus. Demeurer en son Jardin, c'est veiller et prier aux côtés de Dieu, c'est marcher avec lui dans le Jardin, se promener simplement, par plaisir et amour, "main dans la main".
Lorsque l'autre souffre, le malade, l'handicapé, le pauvre, le blessé, l'abandonné, c'est Jésus qui pleure, qui agonise. Etre à ses côtés ce n'est pas forcément faire quelque chose, c'est être là avec. Dans le chemin de croix, l'épisode de Véronique qui vient essuyer le visage de Jésus, c'est le geste le plus inutile et le plus risqué que l'on pouvait faire à ce moment là. Prendre des coups des soldats, se voir lynchée par la foule, passer pour une excentrique, une folle, ne pas pouvoir même atteindre Jésus, voilà ce qui l'attendait. Mais elle n'écoute que son amour, que sa foi. Elle est une nouvelle Eve à sa manière, et peu importe si son récit n'est pas véridique, s'il n'est pas dans l'Evangile. Véronique prend une décision qui ne vient pas d'elle mais du Père. Son coeur est en conformité avec l'amour de Dieu et cela lui permet d'aller au bout de son acte. Justement parce que ce geste ne sert à rien, il ne soulage pas Jésus de sa croix ni ne lui enlève sa croix, parce qu'il est gratuit et empreint d'amour pur, il porte toute la vocation de la Nouvelle Eve en lui. Elle recueille dans son linge le précieux fruit qui est en train de se donner, elle reçoit avec une infinie délicatesse le sang très pur de la vie dans ce voile tout immaculé. Elle saisit le visage de Dieu, saisir au sens de comprendre et de prendre dans ses mains. Elle est là avec Jésus, elle ne demande rien, elle veut juste croiser son chemin pour pouvoir lui tendre ses mains. C'est cela se promener dans le jardin avec Dieu, c'est cela demeurer dans le Jardin, être attentif au passage du Seigneur qui croise notre chemin, au milieu de son Jardin.
Gethsémani, il nous faudrait y retourner, y rester quelques heures pour goûter "le parfum des parterres embaumés" du Cantique des Cantiques. Lors de notre voyage en Israël, nous avons célébré la messe dans le jardin où les apôtres devaient sûrement dormir pendant l'agonie discrète de Jésus. Ce n'est peut-être pas par hasard que nous ayons pu faire cela, à cet endroit là et non dans la basilique, à l'endroit où se trouvait Jésus. Jésus nous veut chacun à notre place. Aux uns il a dit de rester là, aux autres de venir avec lui plus loin, puis il est allé à "un jet de pierres" pour prier. Le jardin est assez vaste pour que chacun soit là où il doit être, là où il en est. Mais Jésus n'est pas loin, on le voit du simple regard, il veut que nous restions à ses côtés malgré tout. Ce n'est pas nous qui voulons demeurer avec lui, mais le contraire. Rappelons-nous que c'est bien Jésus qui réclame la présence des apôtres et qu'ils veillent avec lui. Le désirons-nous aussi ? Le jardin de Gethsémani nous invite à nous poser certaines questions : pouvons-nous rester une heure avec Jésus, pour répondre à son désir ? Sommes-nous assez fidèles pour accepter d'entrer dans cette conversion du coeur qui est de résister à la tentation en faisant ce que Jésus nous dit : "veillez et priez pour ne pas entrer en tentation"? Désirons-nous vraiment rester dans ce Jardin ? D'ailleurs lorsqu'on viendra arrêter Jésus, tous fuiront, le Jardin devient malsain pour ceux qui veulent garder leur vie terrestre. Seul, Jésus va marcher vers l'autre Jardin, celui du Golghota et du Sépulcre. Mais il invitera les disciples à venir le rejoindre là, même si c'est pour leur dire qu'il n'est déjà plus là mais qu'il les rejoint plus loin sur la route. Puisque les disciples ne peuvent demeurer avec Jésus, c'est Jésus qui va demeurer avec eux, il veut être unit à eux comme il est unit au Père.

rédigé la nuit du jeudi saint 20 mars 2008, Assi ghat, Varanasi - Inde